La digitale pourpre ou les doigts de l’empoisonneuse

Digitalis purpurea L.

 

 

 

Randonneurs de tous lieux et de tous temps, vous la connaissez ! Oui, c’est la Digitale pourpre, une bisannuelle présente dans une majeure partie de l’Europe septentrionale et dont les fleurs de sa grande grappe éclosent lentement de bas en haut. La première année, c’est sa rosette de feuilles longuement pétiolées et dressées, à limbe gaufré de nervures et grisâtre de petits poils, qui se détache de la "verdoyance" du printemps. Isolée, en lisière de chemin de landes, ou en peuplements plus denses après des coupes forestières, la Queue de loup est visible de loin.

Approchez et venez observer mes corolles pourpres en forme de saxophone ! Regardez encore de plus près, vous verrez une gorge délicatement velue et une lèvre inférieure couverte de tâches sombres et blanches. La légende dit que les lutins ont trempé leurs doigts dans la rosée de minuit et ils ont laissé leurs empreintes digitales, une écriture magique que seules les sorcières peuvent interpréter, d’où le nom de Doigts de fée ou de Jupons de fée. Attention, le bourdon arrive pour butiner, ne vous faites pas piquer ! Inutile d’être à l’image de ces hardis garçonnets qui pincent les lobes de la fleur pour capturer le bourdon besogneux. Préférez faire comme ces petites françaises qui expérimentent leur délicatesse en mettant les corolles sur le bout des doigts comme des Gants de bergère, ou succombez à l'imaginaire des petites anglaises avec leur fox glove, Gant de renard. Les petits gallois, ne seront pas en reste avec leur goblin’s gloves, c’est-à-dire Gants de Gobelins.

Mais, jeunesse se passe et la triste réalité du langage des fleurs nous le rappelle : la Digitale commune symbolise le travail, l’absence et la consolation. Tout cela est de la faute de Junon : reine des dieux et protectrice du mariage dans la mythologie romaine, elle possédait un dé à coudre de rubis qu’elle perdit. Jupiter, son époux, la consola en transformant le dé à coudre en digitale ; ainsi, aucun mortel ne pourrait le lui dérober. Est-ce pour cette raison qu’en Allemagne, la digitale est appelée dé à coudre (fingerhut), probablement…

Le Candide de Voltaire disait "Il faut cultivez notre jardin", il aurait aussi pu dire : il faut cultiver la digitale à partir ses très petites graines brunes issues des capsules coniques. En effet, cette plante ornementale présente des variétés jaunes ou blanches, stimule de surcroît la croissance de potagères comme la tomate, la pomme de terre et même certains fruitiers, de quoi améliorer notre bas monde plutôt que de s’attacher au monde métaphysique des fées.

Et quand cette belle Digitale vous prédit une longue vie… ou pas. Elle fut inscrite à la pharmacopée de Londres dès 1650, comme purgatif ou pour soigner certaines maladies des poumons ; mais, c’est probablement les falsifications avérées de quelques herboristes peu scrupuleux, la remplaçant par de la Sauge, l’Aunée ou la Morelle Noire, qui donnèrent les meilleurs résultats pour ce type de pathologie ! Rappelons, que les feuilles ou les fleurs de la Digitale sont très toxiques, aussi bien pour le cœur que pour les systèmes nerveux et digestifs, et peuvent causer la mort. Marie-Madeleine Dreux d'Aubray, marquise de Brinvilliers, connaissait bien cette toxicité, ce qui la rendue célèbre par l’Affaire des poisons, pour laquelle elle fut jugée le 16 juillet 1676 pour l’empoisonnement de son père, puis ses deux frères et sa sœur, à six mois d’intervalle. Il faut dire que la digitale est un poison facile d’usage, car ses feuilles perdent leur odeur et leur amertume au séchage et les propriétés délétères se conservent longtemps dans l’alcool.

Parallèlement, vers 1778, le médecin et botaniste anglais Withering, observant l’efficacité de potions de guérisseuses à base de Digitale sur des patientes souffrant de problèmes cardiaques, effectue des recherches et découvre l’existence de la digitaline. Ce glycoside cardiotonique ne pourra être isolé qu’un siècle plus tard et permettra le traitement des maladies cardiaques devenues dans les pays industrialisés la deuxième cause de mortalité. Enfin, si ce n’est pas la fée verte, qui aurait altéré l’intégrité mentale de Van Gogh, il a été émis l’hypothèse qu’il aurait utilisé les propriétés hallucinogènes de la digitale (halos colorés en jaune, scotomes scintillants, tachycardie, fibrillation auriculaire) pour modifier la perception de son environnement et son génie artistique ne serait que la conséquence de l’expérience d’une intoxication digitatique…