Le coquelicot : rouge de colère, rouge d'amour, rouge de sang

Papaver rhoeas L.

 

 

 

Claude Monet les a si bien peints au XIXème siècle dans une série de 8 tableaux impressionnistes représentant des champs rouge écarlate, qu'il est difficile d'imaginer qu' à partir du XXème siècle, le Coquelicot ait été chassé mondialement avec l'usage des herbicides. En réalité, ce Pavot des champs ne mérite pas un tel traitement puisque cette plante annuelle est modérément compétitive des blés de printemps car ses graines photosensibles germent surtout en hiver. Par contre, la compétition devient plus rude avec les blés d'hiver et, de surcroit, le Grand Coquelicot est aussi l'hôte de nombreux virus de plantes cultivées comme la betterave sucrière ou la pomme de terre. Du coup, on ne lui a laissé guère de choix que celui de se réfugier le long des autoroutes, des voies de chemins de fer et dans les jardins ... tout au moins quand ceux-ci ne sont pas traités ! C'est pour cela qu'il est récemment devenu le symbole d'un mouvement citoyen de lutte contre les pesticides : « Le mouvement des Coquelicots ».

Il est vrai que ce Pavot rouge ne passe pas inaperçu lors de sa floraison avec ses grandes fleurs au bout de longs pédoncules. Protégées pas 2 sépales velus et caduques, les fleurs sont d'abord penchées vers le bas pour se relever au moment de l'éclosion et, dit-on, c'est signe de beau temps ! Rouge comme la cape du toréador dans l'arène, le Mahon, présente au soleil du matin ses 4 pétales fragiles et chiffonnés qui tombent la nuit venue. Comme le taureau excité, les bourdons sont attirés, non pas par le rouge éclatant des pétales qu'ils ne perçoivent pas, mais par les rayons ultra-violets réfléchis par des onglets noir luisant. Et si le Pavot sauvage n'a pas de nectar pour les satisfaire, ils peuvent récolter l'abondant pollen des nombreuses étamines noir bleuté. La plante n'est pas en reste, car avec ses grains de pollen incapables de germer sur le stigmate d’une fleur du même pied, l’intervention des bourdons et des abeilles contribue à la fécondation croisée qui est indispensable à la survie de la Chaudière d'enfer. Cette dénomination fait allusion à la forme de la capsule oblongue qui constitue le fruit. Quand celle-ci est sèche, des pores s'ouvrent sous le disque stigmatique et libèrent d'innombrables minuscules graines. En dépit de leur petitesse, ces dernières gardent leur capacité de germination dans le sol jusqu'à 8 ans, même que certains disent jusqu'à 80 ans, donc pas facile de se débarrasser de cette « mauvaise herbe »! Et c'est tant mieux, car les capsules sèches sont idéales pour faire des bouquets secs.

Contrairement au Pavot somnifère qui appartient à la même famille des Papavéracées et dont on extrait l'opium, le latex blanchâtre du Pavot coq ne contient pas de morphine, mais de la rhœadine qui lui confère ses propriétés émollientes, sédatives et béchiques. Les Égyptiens utilisaient déjà ses graines comme condiment, imités plus tard par les Grecs et les Romains et, encore de nos jours, on les incorpore dans des gâteaux ou du miel tant par goût que par hygiène pour soigner les maux de gorge ou la toux. Il est aussi possible de manger les jeunes feuilles de Babiou en « paparene nfucate », spécialité italienne, à base d'huile d'olive et des olives noires.

Mais au fait, d'où vient le nom de Coquelicot ? Jusqu'au XVIème siècle, on l'appela "coquerico", comme le coq, parce que sa couleur éclatante évoquait la crête du roi de la basse-cour. Tandis que les petites campagnardes s'amusaient à fabriquer des poupées avec les fleurs, il était défendu aux plus âgées d'aller chercher des Gravesolles dans les champs de blé car ils leur suceraient le sang ! Et oui, rappelez-vous que Déméter, déesse mythologique de la fertilité dota le Coquelicot d'une fécondité peu commune afin qu'il se répande à travers le monde... Une autre légende roumaine raconte même que ces belles fleurs rouges qui parsèment les plaines sont nées de la douleur d'une mère à la recherche de son fils à travers les champs remplis de chardons piquants. Ce n'est pas étonnant que dans le langage des fleurs, le Poinot incarne l'ardeur fragile et la consolation et que les demoiselles chantaient :

  • J'ai descendu dans mon jardin...
  • Pour y cueillir du romarin
  • Qu'un rossignol vint sur ma main
  • Il me dit 3 mots en latin
  • Que les hommes ne valent rien
  • Des dames il ne me dit rien
  • Des demoiselles beaucoup de bien

Refrain :

  • Gentil coquelicot, Mesdames
  • Gentil coquelicot, nouveau
  • Gentil coquelicot, Mesdames
  • Gentil coquelicot

Mais, la fin de l'histoire est bien triste car le rouge Ponceau a aussi été associé, au XXème siècle, dans les pays du Commonwealth, au souvenir des combattants lors de la terrible seconde bataille d'Ypres en 1915 où les coquelicots fleurissaient aussi bien sur le bord des tranchées que sur les tombes des soldats, rappelant la vision du sang sur leur tenue transpercée par les balles et éclats d'obus.